Quelques réflexions autour de l'affaire ... (Iholdi-3)
En février 1987, le numéro 39 de la revue ATEKA publiait un dossier sur « l’affaire d’Iholdy » où deux camps s’affrontaient en 1974 autour d'un projet de lac. Nous reproduisons les 3 articles de ce dossier (dont un en euskara dans l'interface en basque).
Analyser l'affaire d'Iholdy présente un intérêt historique mais aussi et surtout politique. Comprendre pourquoi à un moment donné des ingrédients sociaux, politiques et idéologiques ont permis à la «sauce de prendre», c'est-à-dire à un conflit de se développer, est quelque chose d'indispensable pour comprendre et impulser les luttes à venir.
Comment définir ce qui s'est passé à Iholdy? Une lutte contre la touristification comme elle est souvent classée dans les annales du mouvement abertzale, une contestation du pouvoir des notables, une lutte de classe à la campagne, un conflit de génération ou entre des intérêts privés et collectifs ? Difficile de répondre simplement à la question.
Les ingrédients du conflit
II y a tout d'abord une famille, celle du meunier qui veut rester sur sa terre et refuse un projet dont on affirme «l'utilité publique» alors que son promoteur principal, le maire du village, possède des terres aux abords du futur lac. Ainsi sera forgée la détermination nécessaire à sa longue lutte solitaire contre la municipalité. L'élément déterminant pour la suite des évènements sera la résistance de cette famille qui deviendra ainsi un symbole pour tous les opposants au projet.
En face, il y a l'acharnement de la municipalité et des pouvoirs publics qui refusent de s'avouer vaincus et d'accepter un projet ne nécessitant pas l'expropriation du meunier. Céder sur ce point aurait, sans aucun doute, au vu de ce qui s'est passé par la suite, évité la cristallisation du conflit et surtout la transformation de l'opposition municipalité/meunier en une division de tout le village. Les notabilités, maire, curé, hôtelière, etc, ont un poids disproportionné du fait de leur pouvoir idéologique sur la population et, s'il le faut, des avantages en nature qu'ils peuvent distribuer aux membres de leur « clan » (ainsi on refait la route vers chez untel si son fils ne participe pas aux Toberak). Élément déterminant là encore, le comportement du conseil municipal qui fait tout un travail d'intoxication, de provocation, répandant ragots et calomnies pour marginaliser le meunier et l'obliger à céder.
En effet, ceci sera très important dans la prise de conscience des jeunes. Ils sont particulièrement sensibles à l’injustice faite à cette famille mise au ban de la société. Ce travail d'intoxication produira ainsi au bout de quelques années l'effet inverse chez eux. Autre élément important pour la participation des jeunes au conflit, c'est l’existence d'une association, lieu de rencontre, de discussion à partir duquel une action collective sera possible. Et comme ils y font aussi du théâtre, l'idée germera vite de ressusciter la tradition des Toberak. Ils ne sont pas abertzale. Leur démarche n'a pas pour point de départ une analyse politique ou une critique de la touristification. Leur but principal c'est d'éviter l'expulsion du meunier. Comme cet objectif se trouvera rapidement confondu avec le refus du lac, du fait de la position des autorités, ils seront contre le lac.
Dernier élément, les paysans qui défendent avant tout leurs intérêts au nom desquels ils rejettent le projet d'aménagement touristique. Pour eux, la municipalité censée gérer la commune en fonction de l'intérêt général n'a pas le droit de décider d'un tel projet correspondant à des intérêts particuliers mais que tous les habitants devront d'une façon ou d'une autre financer. Et cela alors que dans un village à dominante agricole, d'importants travaux d'aménagement foncier et d'équipement sont en attente. Là encore, c'est la longue résistance du meunier qui a permis aux paysans, a priori non concernés, de se rendre compte de la situation et de s'organiser. L'élément déterminant est dans ce cas la personnalité dynamique de quelques individus et notamment le président du syndicat agricole local qui n'hésitera pas à critiquer publiquement le projet puis, sentant que le syndicat ne pourrait que freiner la contestation, à créer une nouvelle structure : «le comité de défense des intérêts agricoles».
Le point culminant
Tous les éléments du conflit sont en place et celui-ci se développe rapidement pour atteindre son point le plus fort le jour des Toberak. Les deux camps se radicalisent, les haines se développent, des familles sont divisées. La situation peut dégénérer à tout moment. Le meunier aurait déclaré: « si on vient m'expulser, j'ai 5 fils et 5 fusils ... »
Les Toberak sont aussi le point culminant du rapport de forces entre les deux parties. D'une part ils concrétisent la confluence des deux groupes opposés au projet : les jeunes et les paysans autour de la figure symbolique du meunier. D'autre part la municipalité ayant interdit la représentation, c'est l'épreuve de force et un défi qui est lancé à l'autorité du maire, à celle des notabilités et au delà à celle du préfet qui n'osera pas faire intervenir les CRS pour faire respecter l'arrêté d'interdiction. Enfin, pour beaucoup de jeunes, c'est aussi un défi à l'autorité parentale.
L'apaisement
Le dénouement du conflit se fera progressivement. D'abord par la disparition des raisons principales qui avaient motivé les jeunes et les paysans. A savoir le maintien du meunier sur ses terres reconnu en 1975 et la mise en place du remembrement. Les autorités ont-elles eu l'intelligence de la situation? Toujours est-il qu'à partir de 76, le projet sera mené à bien avec, il est vrai, une portée plus que réduite. Deux autres éléments joueront dans le désamorçage du conflit : la dispersion du groupe des jeunes qui quittent le village, se marient, etc. Enfin le remembrement viendra effacer la facture du village sur la question du lac et, très rapidement, de nouvelles lignes de partage se formeront, différentes de la précédente. Ainsi l'histoire du meunier sera très rapidement oubliée.
Conséquences
En ce qui concerne les conséquences, elles sont multiples. Et tout d'abord dans les mentalités : désormais la méfiance sera de mise à l'égard des projets municipaux. Sans aucun doute aussi, les rapports jeunes/adultes, au moins pour cette génération-là, seront profondément modifiés. En témoignent d'ailleurs les changements postérieurs dans le pouvoir local à la suite de la participation aux élections municipales des organisateurs des Toberak. Résultat décevant ? Peut-être mais la dispersion du groupe, la fin des activités théâtrales ont hypothéqué toute évolution ou radicalisation postérieure des jeunes.
Enfin, une autre conséquence, c'est le caractère de test que cette affaire aura eu, sans aucun doute, pour les pouvoirs publics. Malgré qu'elle ne fût pas contre la touristification, ni dans les faits, ni dans le discours (même si certains secteurs qui le soutenait comme les abertzale ou «Jeunes et nature» prenaient en compte cette dimension), elle a montré comment, à partir d'une situation spécifique, peut se former une opposition résolue bloquant un projet touristique ou du moins le réduisant considérablement. Et il est probable que les autorités auront été enclines à plus de prudence dans les années suivantes ...
Ainsi, plusieurs dimensions auront été présentes à différents moments, donnant à cette lutte son aspect à plusieurs facettes: une remise en cause de la touristification. même si c'est indirectement et surtout dans ses conséquences ; une remise en cause du pouvoir et de la gestion des notables liée à un conflit de génération qui se traduira par l'entrée des «jeunes» au conseil municipal plusieurs années plus tard ; enfin une lutte de classe entre les secteurs les plus dynamiques des paysans et des éléments d'une bourgeoisie commerçante et touristicole.