Le jour le plus long (Iholdi-1)
En février 1987, le numéro 39 de la revue ATEKA publiait un dossier sur « l’affaire d’Iholdy » où deux camps s’affrontaient en 1974 autour d'un projet de lac. Après 8 années de guérilla juridique entre la municipalité et le meunier qu'elle veut exproprier, des jeunes du village ont organisé des Toberak en solidarité avec ce dernier et pour dénoncer la cupidité des partisans du projet touristique. Interdits par arrêté municipal, ils auront lieu malgré tout, après une bataille épique pour le contrôle de la place du fronton. Nous reproduisons les 3 articles de ce dossier.
Iholdy, six heures du matin. Étrange agitation dans le village pour un dimanche. Un cortège d'une vingtaine de tracteurs vient d'envahir la place du fronton. Après s'être garés un peu dans tous les sens pour occuper le maximum de place, les propriétaires des véhicules quittent les lieux. Iholdy va ainsi vivre, ce 29 décembre 74, son «jour le plus long» ...
Quelques heures plus tard des jeunes se rassemblent au même endroit et commencent à monter une estrade, à installer une sono. C'est là que dans l'après-midi doivent se jouer les fameux «toberak» attendus par tous. Organisés par les jeunes du village, ils dénoncent l'aménagement touristique projeté par la municipalité qui prévoit notamment la construction d'un lac et l'expropriation d'un meunier.
Après avoir refusé de prêter le fronton, le maire a pris, quelques jours auparavant, un arrêté interdisant toute manifestation sur la voie publique. Le curé, quant à lui, avait refusé la salle paroissiale pour les répétitions. C'est donc une véritable épreuve de force qui s'annonce. L'autorité des notabilités du village est en jeu. Les jeunes ont l'air décidé à maintenir leur représentation. A la vue des tracteurs, on comprend vite que les partisans du maire n'ont pas dit leur dernier mot et qu'ils semblent décidés à empêcher coûte que coûte les toberak. De même, en signe de protestation, les cafetiers du village ont fermé boutique, ce qui contribue encore à alourdir le climat. Presque une ambiance de «guerre civile». Le village est en effet séparé en deux camps: les partisans de la municipalité d'un côté, ceux du meunier de l'autre. Et les pressions, les rancœurs ou les haines n'ont fait que s'exacerber à l'approche de ce dimanche.
Vers 15 heures, les gens commencent à se rassembler. Des jeunes en grand nombre dont beaucoup sont venus de tout le Pays basque Nord. De nombreux habitants d'Iholdy par contre, sont restés chez eux au vu de l'ambiance du matin et dans la crainte de ce qui pouvait arriver.
Dans un coin de la place, les partisans du maire tiennent conciliabule. Face à la foule qui grossit, un membre de la municipalité ordonne à son fils de foncer sur les gens avec son tracteur. Celui-ci s'exécute à contre-cœur mais s'arrête bien vite face aux jeunes de son âge et de son village. Un autre, plus âgé, tente la même manœuvre en démarrant brusquement mais doit stopper aussi face au barrage humain, au milieu des cris et des invectives. Du coup il se retrouve entouré et complètement isolé. La tension est à son comble. Etxamendi monte à califourchon sur le moteur et dents serrées, avec une rage contenue, commence à lui dire sa façon de penser. Notre bonhomme n'en mène pas large ...
L'heure prévue pour la représentation approche. Les partisans du maire tentent une ultime manœuvre. A l'aide d'un tuyau apporté par un pompier, ils mettent alors en batterie une lance à incendie sur la borne de la place. Et, brusquement, ils commencent à arroser les spectateurs rassemblés. Sous la force du jet d'eau glacé, reflux général. On s'abrite comme on peut derrière les tracteurs, sous les remorques.
Puis très vite la contre-attaque s'organise. Pendant que le jet repousse les gens sur la droite, d'autres avancent sur la gauche. Les partisans du maire sont rapidement débordés. Après plusieurs assauts, certains arrivent à se saisir du tuyau et s'engage alors une partie de soka-tira improvisée. Le tuyau casse vite et il s'ensuit une mêlée brève mais violente pour le contrôle de la borne. Le dernier carré se défend avec le manche de la lance d'incendie. Mais la partie est perdue et ils se replient en désordre vers la mairie. Insultes abondantes et menaces en tout genre de part et d'autre ...
Quand 16 heures sonnent au clocher du village, les jeunes sont maîtres de la place. Les toberak peuvent commencer. Les spectateurs, dont plus d'un est trempé jusqu'aux os, se rassemblent autour de l'estrade. Les tracteurs censés empêcher la représentation servent maintenant de gradins. Environ mille personnes sont présentes. Au moment où le premier acteur entre en scène, le silence qui s'est fait sur la place est brusquement déchiré par la sirène des pompiers actionnée par les opposants qui refusent de s'avouer vaincus. Elle retentira à plusieurs reprises pendant Ie spectacle. A 17 heures, l’électricité est coupée et la sono se fait muette. Mais la sirène aussi du même coup. Les acteurs, en s’époumonant, parviendront quand même à la fin des toberak qui mettent en scène l'histoire et les protagonistes de «l'affaire d'Iholdy»: le technocrate, le maire, l'hôtelière ou le curé sont ainsi brocardés pour leur vision toute personnelle des intérêts du village. A la fin, le meunier sort victorieux de la bataille. Pour terminer, une prise de parole demande aux gens de se disperser dans le calme (une compagnie de gardes mobiles vient d'envahir le village), sans céder aux provocations des partisans du maire.
Quelques instants plus tard, ceux-ci viennent justement récupérer leurs tracteurs. Comble du ridicule, un ou deux seulement démarrent et doivent remorquer tous les autres. Pendant le spectacle, des mains anonymes ont farfouillé dans les moteurs, tordant, coupant, débouchant, débranchant…, provoquant cette panne collective. Dure journée pour les partisans du maire qui devront quitter la place sous les quolibets et les rires sarcastiques. Une véritable défaite en rase campagne ...