PROJET DE LOI ASILE ET IMMIGRATION : UNE LOGIQUE DU DURCISSEMENT
Nous assistons à une dégradation grave du sort réservé aux personnes migrantes et étrangères, en but à des mesures d'exclusion, de discrimination et de répression des étranger.e.s e. Or le gouvernement cherche par une nouvelle loi (1) à réduire encore plus leurs droits. Si le projet, à la date de l'écriture de ce texte, n'est pas totalement ficelé, on en a les grandes lignes. Il y aura eu 29 lois depuis 1980, allant toutes dans le sens d’une détérioration continue des conditions d'accueil.
Ce projet de loi est essentiellement idéologique et politique. Il se focalise toujours plus ouvertement sur l’assimilation entre « immigration » et « délinquance » et sur l’éternel duo « enfermer/expulser ». L’Etat met en scène le prétendu "problème" de l’immigration que ses mesures rendent irrégulière, et il donne le spectacle de son action pour l’endiguer, ceci dans un climat de xénophobie et de racisme accrus qu'il contribue à provoquer et à renforcer.
La France ne compte dans sa population que 10 % d’immigrés et 7,5 % d’étrangers. En 2021, le nombre de personnes sans-papiers ne représenterait que 0.52 %¹ à 1 %² de la population totale française. La Cimade |
Le volet clairement répressif de la loi : contrôler/enfermer/expulser toujours plus les sans-papiers
Cette loi veut réformer les procédures d’asile et ou de séjour, dans le double but d’augmenter le volume des expulsions effectives, ceci en accélérant les délais de traitement et en expulsant plus rapidement ceux.celles qui n’obtiendront pas le statut de réfugié.e ou un titre de séjour. Résultats : des OQTF (obligation de quitter le territoire français) plus rapides et effectives, une "justice" plus expéditive, des contrôles plus intenses, des CRA (centres de rétention administrative) plus nombreux… Une des mesures est de conditionner un titre de séjour :
• d'une part à une résidence stable en France (alors qu'on sait les difficultés de logement et que l'administration elle-même, alors qu'elle est tenue de le faire, ne fournit pas d'hébergement aux demandeur.ses d'asile dans les centres d’accueil (CADA) prévus par la loi ;
• d'autre part à la réussite d'un examen prouvant la maîtrise du français et l’acceptation des valeurs de la République ».
Voilà qui est sorti tout droit de la loi raciste "Séparatisme" de 2021 (appelée plus précisément "loi confortant le respect des principes de la République"), fondée sur la mise en scène d’un ennemi intérieur étranger. Les gouvernants accumulent les déclarations sur la base de « étrangers = délinquants », ce qui révèle le contenu clairement raciste de sa politique.
Les personnes étrangères sont-elles réellement plus délinquantes ? En 2020, seules 18,5% des condamnations prononcées par les juridictions pénales concernaient des personnes étrangères S'il y a surreprésentation des personnes étrangères condamnées et des personnes étrangères incarcérées au regard de leur nombre au sein de la population française, cela s’explique par les traitements discriminatoires (arrestations au faciès, par ailleurs illégales) dont elles sont l’objet, par les inégalités socio-économiques et territoriales ou par l’existence d’infractions qui ne peuvent être commises que par des personnes étrangères (par exemple. : refus de test PCR, refus de rendez-vous au consulat, refus de monter dans l’avion etc.) La Cimade |
La hantise du gouvernement, ce sont les OQTF. Elles sont délivrées en très grand nombre par les préfets (122 000 en 2021), selon leur bon vouloir, mais évidemment avec la bénédiction du gouvernement, à la suite d’une décision de refus ou de retrait d’un titre de séjour, de rejet d’une demande d’asile ou de simple contrôle sur la voie publique. Ces OQTF restent en grande partie inappliquées (le taux n'a jamais dépassé 20% du total des mesures prononcées, se plaint le ministère de l'Intérieur), justement parce qu'elles sont le plus souvent arbitraires. Or le gouvernement voudrait que les expulsions se fassent plus nombreuses et plus rapidement, en passant par une politique du chiffre qui prouverait, selon lui, l'efficacité de sa politique migratoire.
Dans l'intention d'expulser plus vite, la future loi prévoit :
• d'une part que la durée de validité des OQTF passe de un à trois ans ce qui ouvre la possibilité d’expulser jusqu’à 3 ans après l’OQTF même si la situation de l’étranger a changé,
• d'autre part que soit réduit à quinze jours, au lieu d'un mois actuellement, le délai à partir duquel un.e étranger.e sans-papier peut être enfermé.e en CRA après la prononciation de son OQTF. S'il n'y a pas rétention en CRA, l'assignation à résidence devra être systématique.
En matière d’asile, l’une des mesures-phares vise à délivrer systématiquement une obligation de quitter le territoire français (OQTF) aux demandeur.ses d’asile « dès le rejet de la demande par l’Ofpra (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides), sans attendre un éventuel recours. Alors qu'aujourd’hui, la loi prévoit qu’un.e demandeur.se d’asile bénéficie en principe du droit de se maintenir sur le territoire français le temps que soit examinée sa demande par l’OFPRA et par sa juridiction d'appel, la CNDA (Cour nationale du droit d'asile). L’exécution de l’OQTF sera cependant différée « en cas de recours devant la CNDA », ce qui permettra d’expulser directement au moment de la décision de la CNDA. Ainsi le délai de décision sera raccourci de cinq mois à cinq semaines et, si le recours auprès de la CNDA est rejeté, les délais d’éloignement seront réduits.
Dans cette logique répressive, il est prévu d'ouvrir de nouveaux CRA, ces centres dits de rétention qui sont des lieux indignes d'enfermement, des zones de non-droit et de non-vie, tels que celui d'Hendaye : 220 places de plus en décembre, promet Darmanin aux préfets, soit 10% de la capacité du parc, et 3 000 places en 2025-26, soit 1 800 de plus qu'aujourd'hui.
Dans la même veine de restriction des droits, la loi envisage de réduire le nombre de voies de recours juridique en matière d’expulsion, en passant de 12 procédures à 4. Le chiffre 12 avancé par Darmanin vise à faire croire que les sans-papiers sont ultra-protégé.e.s, qu'ils auraient la possibilité d'un éventail important de procédures de recours alors qu'iels n’ont droit en réalité et dans la plupart du temps qu' à un seul recours suspensif devant le tribunal administratif .
De plus, la future loi veut que les recours devant la CNDA se fassent devant un.e juge unique, contre trois actuellement, en collégialité. Là encore, il s'agit d'aller plus vite : la procédure à juge unique prévoit un délai de cinq semaines pour statuer, contre cinq mois pour une procédure collégiale. De plus, cela permettrait de supprimer la présence d'un.e représentant.e du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) - plus garant des droits des migrant.e.s car plus à même de connaître la situation des pays d'où iels viennent -, ainsi que d'un.e assesseur.e nommé.e par le Conseil d’État. Il est clair que s'en tenir à un.e seul.e juge ne peut qu’accroître l’arbitraire des décisions et affaiblir plus encore la qualité de la justice rendue.
Ainsi la multiplication des centres de rétention, l’assignation à résidence, l’inscription des étranger.e.s sans-papiers à qui aura été délivrée une OQTF au fichier des personnes recherchées, les mesures prises pour accroître et accélérer les expulsions du territoire, tout cela instaure un véritable régime de traque et de criminalisation des immigré.e.s. Ajoutons à cela la volonté d’étendre le domaine de la « double peine » qui double – pour les étranger.e.s – avec ou sans papiers - toute condamnation pénale d’une menace d’expulsion et on comprend bien que ce sont tou.tes les étranger.e.s qui sont visé.e.s.
Cette frénésie de mesures qui concourent à accélérer les procédures d'examen des titres de séjour et/ou d'asile a un objectif clair : hâter les expulsions pour empêcher les étranger.e.s de rester et de s'installer dans la durée, donc de pouvoir développer des droits au séjour liés à leur situation familiale ou professionnelle, droits qui leur ouvriraient la possibilité de faire tomber une OQTF. Ainsi cette politique vise sciemment à empêcher les migrant.e.s d'exercer leurs droits et de s'intégrer. Seules une régularisation immédiate et l'obtention sans condition des mêmes droits pour tou.tes pourraient permettre un accueil digne, laisser le temps de s'intégrer et de pouvoir vivre sans peur.
Le volet sur la création d'un nouveau titre de séjour d’un an pour les travailleur.se.s étranger.e.s déjà sur le territoire dans des « métiers en tension ».
A travers cet éventuel assouplissement des règles de régularisation, le gouvernement entend satisfaire les demandes insistantes d’une partie du patronat, en manque de personnel de façon structurelle dans les secteurs les plus durs et en quête de main-d’œuvre pas chère. Les métiers dits en tension se trouvent dans l’hôtellerie-restauration, le BTP, la propreté, les services aux particuliers et aux collectivités, la logistique (comme chez DPD, filiale de La Poste), l'agriculture..., ceux que les Français.es, et en particulier les personnes blanches, ne sont plus disposé.e.s à exercer en raison de rémunérations qui ne sont tout simplement pas à la hauteur de la dureté des conditions de travail.
Ainsi le gouvernement et le patronat reconnaissent que des emplois ne sont pas pourvus parce que les conditions sont dures et précaires et, comme il ne s'agit surtout pas de les améliorer, ils considèrent que ces conditions de surexploitation sont acceptables pour des migrant.e.s. Ainsi, la loi future permettra aux patrons de continuer à embaucher des immigré.e.s dociles, bien obligé.e.s d'accepter des journées de 12 h, de travailler tard la nuit et le week-end ainsi que des heures supplémentaires non payées, avec la carotte d'une éventuelle régularisation pour un an.
L'Etat, grand pourvoyeur de travailleurs clandestins Dans le BTP (voir le chantier, par exemple, ouvert pour les JO de 2024), la surexploitation des sans-papiers s’effectue au bout d’une cascade de sous-traitances, permise par l’État et qui dissimule la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre. Dans la logistique, l’État montre lui-même l’exemple : dans des filiales de La Poste, entreprise dont il est encore un actionnaire stratégique, des milliers d’intérimaires sans-papiers trient les colis dans des conditions inhumaines. C’est ce qui fait que le ministère de l’Intérieur est confronté à une révolte des travailleurs sans-papiers de ces secteurs depuis plusieurs mois. |
Darmanin a avancé notamment la possibilité pour les travailleur.ses étranger.e.s de demander eux et elles-mêmes leur régularisation sans avoir besoin du soutien de leur employeur. Ce qui peut sembler bien venu ; mais il faut savoir que c’est déjà l’employé.e qui dépose sa demande en préfecture et qu'iel doit produire un dossier dans lequel figure notamment des documents produits par son patron. Et on voit mal qu'iel puisse se passer de ces documents sans l'accord de l'employeur. En fait, il ne s'agirait, avec la loi future, que de permettre aux étranger.es, déjà en France et avec un titre de séjour, de changer d'employeur sans passer par une nouvelle procédure, celle de l'autorisation de travail qui reste aujourd'hui à la main du patron. Quant aux sanctions à l'encontre des employeurs qui emploient des "clandestins", c'est à dire des sans-papiers, ils seront sanctionnés par une amende dissuasive et, nous dit-on, dûment appliquée ; ce qui n'est pas du tout le cas aujourd'hui.
Par ailleurs, il ne faut pas croire que l'obtention d'un titre de séjour soit la panacée : les conditions de travail de réfugié.e.s ayant acquis un titre de régularisation depuis un an restent tout autant précaires, instables et insatisfaisantes, souvent marquées par un déclassement professionnel par rapport à leur situation dans leur pays d’origine.
En tout cas, cette"ouverture" dans le projet de loi n'est que d’apparence. La rhétorique de la l' "intégration" d’une partie des travailleur.se.s étranger.e.s est là pour appuyer et justifier la multiplication des expulsions. Il y a les bon.ne.s migrant.e.s "celles et ceux qui veulent travailler et respectent les lois de la République » et les indésirables expulsables, "qu'on ne veut pas". Darmanin a ainsi résumé son credo, début novembre : être "méchant avec les méchants" – les étrangers sans-papier suspectés d'être délinquants – mais "gentil avec les gentils" – les étrangers travailleurs. Cette formule laisse entendre que ce n’était pas le cas jusqu’à présent, alors que toutes les lois relatives à l’immigration n'ont fait que concocter des mesures toujours plus répressives. La réalité du projet c’est plutôt « méchants partout, gentils nulle part ».Mais cette petite phrase démagogique en faveur d’une "immigration de gens qui veulent s’intégrer, travailler, parler français" risque de rencontrer un écho positif dans la population, voire les faveurs d'une partie de gens de gauche.
Un titre de séjour… le temps de se faire exploiter
Ces travailleur.se.s précaires corvéables à merci ne pourront en aucun cas envisager de s’installer en France puisqu’iels seront invité.e.s à quitter le territoire dès lors que le métier qu’iels exercent ne sera plus considéré comme étant "en tension". Autant dire rien de très différent de la pratique actuelle, régie par la circulaire Valls.
La circulaire Valls de 2012 prévoit la possibilité d’une « admission exceptionnelle au séjour » pour les salarié.es à condition qu’ils prouvent 3 à 5 années de présence sur le territoire, réunissent vingt-quatre bulletins de paie et une promesse d’embauche en CDI. Autre cas de figure : un parent d’enfant né en France doit réunir cinq ans de présence et son enfant doit être scolarisé depuis trois ans. Mais il ne s'agit pas d'une règle uniformément appliquée, chaque préfecture faisant comme elle l’entend. Et, on l'a dit, la circulaire du 17 novembre incite les préfets à être de la plus grande rigueur. |
Pire, les nouvelles modalités pourraient être plus restrictives encore que la circulaire Valls, puisqu'elles ne permettront pas la régularisation pour tout type de métier. Le volet lié au travail consiste donc en fait en l’instauration d’un nouveau titre de séjour, dévalué par rapport aux critères existants actuellement, aussi critiquables soient-il. Car ce nouveau titre de séjour aura au moins deux aspects aggravant les titres de séjour actuels :
- il liera le titre de séjour à des secteurs déterminés sans possibilité d’en changer (bâtiment, restauration, aides à la personne…)
- la durée et la validité de ce titre de séjour dépendra d’une décision – gouvernementale, patronale ? - sur le maintien emplois concernés dans le domaine des secteurs en tension
Plus encore qu’aujourd’hui cela livrera les étrangerEs régulariséEs au bon vouloir du gouvernement et du patronat. Quoi qu'il en soit, il est très important de se mobiliser massivement pour que ce projet de loi soit combattu et défait et pour obtenir la régularisation de tous et toutes. Déjà, des mobilisations ont vu le jour dans des villes où la construction de nouveaux CRA est prévue (Pessac, Orléans, Mesnil-Amelot, Nantes...)
Quelle société voulons-nous ?
Cela fait maintenant des décennies qu’on nous répète « qu’on ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». A tel point que c’est devenu un lieu commun. Mais, depuis 25 ans, la France a doublé sa production de richesses (PIB = produit intérieur brut). Est-ce que sa population a doublé ? A-t-on accueilli des millions d’étranger.e.s ? Est-ce que les salaires ont été multipliés par deux ? Est-ce qu’on a divisé par deux le temps de travail ? Non. Mais la pauvreté a augmenté. Et la fortune des 500 personnes les plus riches a été multipliée par 7 ! Cet argument sur le fait qu’il n’y aurait pas assez de ressources pour accueillir plus d’étranger.e.s (qui conduit à les laisser mourir en Méditerranée et ailleurs, et jusqu'à la frontière Irun-Hendaye ), lorsqu’il devient un lieu commun peut être utilisé pour justifier qu’il n’y a pas assez de ressources pour les retraites, pour l’hôpital, pour le logement pour tou.tes, etc. Et cette société qui crée de plus en plus d’inégalités est aussi une société où l’État devient de plus en plus raciste et sécuritaire.
Faire échec à la loi Darmanin sur l’immigration est un enjeu pour toutes et tous. Il s’agit de se battre pour un autre avenir, une autre société, un autre monde que celui de la pauvreté, des murs, de la guerre et du racisme.
Kristina Maynard membre d'Etorkinekin-Diakité
(source : revue de presse du Gisti - https://www.gisti.org/spip.php?article6862)